Trois jeunes hommes revenaient ensemble chez eux, après avoir passé la plus grande partie de la nuit à jouer aux cartes, dans une ferme de la paroisse de Plougonven, Il était environ deux ou trois heures du matin.
C’était au mois de décembre ; le temps était froid, la lune claire et ils causaient des chances diverses du jeu, en fumant leurs pipes. Comme ils arrivaient à un ruisseau qu’on franchissait sur une passerelle en bois, l’un d’eux, Iannic Meudec, dit :
– On prétend qu’on voit là une lavandière de nuit ; si nous la voyons, tout à l’heure, nous la jetterons, la tête la première dans l’étang.
L’étang était dans une prairie qui bordait la route et n’en était séparée que par un talus. Iannic monta sur le talus et dît à ses deux camarades, Ervoan Madec et Pipi al Laouenan :
– Elle est là, la Lavandière de nuit ! Montez sur le talus, et vous la verrez.
Ils montèrent sur le talus, et virent, avec étonnement une femme qu’ils ne connaissaient pas, qui trempait du linge dans l’eau du Douet, puis l’en retirait, le frottait et le battait avec un large battoir dont le bruit retentissait dans la vallée. Ils restèrent quelque temps à la regarder, silencieux et saisis d’étonnement. Mais, comme ils avaient bu quelque peu d’eau-de-vie, et qu’ils se vantaient de n’être pas peureux, un d’eux, Pipi Al Laouenan, cria :
– Voulez-vous que nous vous aidions à tordre votre linge, la Lavandière ?
La Lavandière ne répondit pas mais elle posa son battoir sur la pierre du Douet, se leva et regarda dans la direction d’où était venue la voix.
Aussitôt, les trois camarades, saisis d’une terreur panique, sautèrent à bas du talus et piquèrent une course folle, comme si le Diable à leurs trousses. Iannic Meudec tomba, s’écorcha au nez et au front, puis se releva et reprit sa course, en abonnant ses sabots et son chapeau : les deux autres jetèrent aussi leurs sabots sur la route, et ils furent heureux de pouvoir se sauver précipitamment dans la chaumière d’Ervoan Madec, qui se trouvait près de là, au bord du chemin. La lavandière était sur leurs talons, son battoir levé, et si elle les avait atteints, elle les aurait assommés. Elle ne pouvait pas pénétrer dans la maison, mais elle jeta son battoir contre la porte, avec une telle violence, qu’elle la brisa ; et avant de s’en aller, elle leur cria :
– Vous pouvez vous estimez heureux, car, si je vous avais attrapés, je vous aurais appris à passer la nuit à jouer aux cartes et à vous trouver si tard par les chemins, sans besoin !
Les trois camarades ne soufflaient mot, mourants de peur, et ils n’osèrent sortir avant qu’il fit grand jour. Ils allèrent alors chercher leurs sabots et leurs chapeaux, à l’endroit où ils les avaient abandonnés, mais ils ne les trouvèrent que sur la pierre de l’étang où la Lavandière la nuit lavait son linge, au clair de lune, brisés et déchirés en mille morceaux